Après les Funérailles du Président Kennedy, Bobby a Dit à Charles de Gaulle : "C'était un Coup d'État"
Le président français, survivant d'une tentative d'assassinat par l’OAS, rejoignait la conviction de RFK.

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L'une des révélations sur l’assassinat de Kennedy qui a émergé des nouveaux dossiers JFK ces dernières années est le témoignage sur ce que le président français Charles de Gaulle a pensé de l'assassinat de son ami et rival John F. Kennedy.
Ils ont commencé par être antagonistes. Kennedy, sénateur libéral du Massachusetts, s'est aliéné de Gaulle en prononçant en 1957 un discours courageux appelant à l'indépendance de l'Algérie. De Gaulle pensait que le statut de la colonie française ne regardait pas un sénateur américain immature, assez jeune pour être son fils. Mais lorsque Kennedy a été élu président, de Gaulle a eu l'impression que JFK avait écouté ses conseils pour éviter une guerre en Asie du Sud-Est. Il a été profondément impressionné par la façon dont Kennedy a géré la crise des missiles de Cuba en octobre 1962.
Pendant la crise, de Gaulle a refusé d'examiner les photographies que lui présentait l'envoyé de Kennedy, l'ancien secrétaire d'État Dean Acheson, déclarant qu'il "croit le président américain sur parole et n'a besoin d'aucune preuve", ajoutant que la France se tiendrait aux côtés des États-Unis en cas de guerre. Suite à la résolution pacifique de la crise par Kennedy, de Gaulle estima que JFK avait l'étoffe d'un grand homme d'État.
L'assassinat de Kennedy en novembre 1963 a laissé le président français croire au pire concernant le gouvernement américain. Les nouveaux dossiers JFK montrent pourquoi.

La déclassification du mémo longtemps censuré d'Arthur Schlesinger recommandant la réorganisation de la CIA a montré que les services secrets américains avaient effectivement soutenu un coup d'État militaire avorté de l’OAS contre de Gaulle en avril 1961. De Gaulle lui-même avait évité de justesse d'être assassiné par les mêmes conspirateurs en août 1962 lors de l’attentat du Petit-Clamart (Cet attentat a inspiré Frederick Forsyth pour écrire Chacal un thriller historique publié en 1971 au Royaume-Uni. The Day of the Jackal, une série télévisée britannique, l’adaptation du roman Chacal, est actuellement diffusée en France sur Prime Video).
C'est une raison supplémentaire pour laquelle de Gaulle ne croyait pas à l'histoire officielle selon laquelle Kennedy avait été tué par un "tireur isolé" qui avait été tué par un autre "tireur isolé".
Ce genre de sale boulot
Comme le rapporte David Talbot dans son livre de 2015, "The Devil's Chessboard", de Gaulle a expliqué son point de vue à Alain Peyrefitte, qui était est un proche du général, Ministre de l'Information (1962-1966) et porte-parole de son gouvernement. Au cours de sa carrière, Peyrefitte a eu 300 entretiens avec de Gaulle et a pris des notes détaillées sur chacun d'entre eux. Peyrefitte se souvient que de Gaulle a disséqué le rôle de Lee Oswald, l'ex-marine arrêté pour avoir tué JFK.
« Ils se sont saisis de ce communiste, qui n’en était pas un, tout en l‘étant. C’est un minus habens et un exalté. C'était l 'homme qu’il leur fallait. Un merveilleux accusé. La fable était de taire croire que le type avait agi par amour du communisme. Ça aurait permis de déclencher une chasse aux sorcières communistes et détourner l’attention. Vous avez vu comment ils l'ont arrêté ? Ils le gardaient en réserve. Ils se sont saisis de lui dès qu'il a fallu le trouver. Le type s’est enfui, car il devait se méfier. Ils ont voulu l’abattre sur-le-champ, sans même que la justice ait pu se saisir de lui. Malheureusement, cela ne s'est pas passé exactement comme ils l'avaient prévu... Mais un procès [d'Oswald], vous vous rendez compte, c'est épouvantable ! Des gens auraient parlé. Et on en aurait remué, des choses ! On aurait tout déballé !
Ce qui était vrai. Un procès pénal de Lee Harvey Oswald en 1964 aurait révélé le fait (rapporté pour la première fois dans JFK Facts en 2024) que le jour où JFK est parti pour Dallas, la CIA disposait d'un dossier de 181 pages sur le "fanatique exalté" qui était censé avoir tué le président. Il était urgent d'empêcher la divulgation de l’enquête que la CIA menait depuis de longue date sur Oswald.
L'assassinat d'Oswald par Jack Ruby n'a pas surpris le dirigeant français.
" Alors, la police est allé chercher un indicateur qui n'avait rien à lui refuser.et qu'elle tenait parfaitement en main; et ce type s'est dévoué pour tuer le faux assassin, sous prétexte qu’il fallait défendre la mémoire de Kennedy. "
De Gaulle, qui avait une longue expérience de la guerre politique clandestine, ne pouvait pas accepter une telle affirmation.
"C'est de la rigolade. Toutes les polices du monde se ressemblent lorsqu'elles font ces basses besognes. Dès qu’ils ont réussi à supprimer le faux assassin, ils ont déclarés que la justice n'avait plus à s'en occuper, puisque l’action publique était éteinte par la mort du coupable. Plutôt assassiner un innocent, que de laisser éclater une guerre civile. Plutôt une injustice qu'un désordre".
En bref, de Gaulle avait compris que JFK avait été tué par ses ennemis au sein des forces de sécurité américaines. Et maintenant, l'histoire se poursuit.
Bernard Le Grelle, journaliste d'investigation belge, conseiller politique, auteur et ancien expert des Nations unies, a interrogé Alain Peyrefitte sur ses conversations avec de Gaulle et en a tiré une nouvelle histoire qu'il partage aujourd'hui avec JFK Facts : ce que Robert F. Kennedy a dit au président français après les funérailles de JFK.

Entretien informel
Le Grelle a rencontré Alain Peyrefitte pour la première fois en 1984, lors d'une mission pour son ami Robert K. Gray, un expert en relations publiques républicain dont le cabinet, Gray and Company, a été particulièrement influent pendant la présidence de Ronald Reagan. Peyrefitte s'était retiré de la vie politique pour devenir président du comité éditorial du journal conservateur Le Figaro. Peyrefitte et Le Grelle ont parlé des relations franco-américaines.
Quatre ans plus tard, Le Grelle lui envoie son bestseller sur sa carrière de lobbyiste (Profession Lobbyman, Le Pouvoir des Coulisses, publié chez Hachette) et Peyrefitte l'invite à venir prendre un café dans son bureau. "La discussion a très vite porté sur l'assassinat de JFK", écrit Le Grelle par la suite, "et il m'a fait un long récit détaillé, 'off the record', des discussions de de Gaulle sur Kennedy, son assassinat, les funérailles et les 'intuitions' de de Gaulle sur l'identité du meurtrier de JFK".
C'était neuf ans avant que Peyrefitte ne publie C'était De Gaulle, le livre - jamais traduit en anglais - cité par Talbot dans The Devil’s Chessboard.
Lors de son entretien avec Le Grelle, Peyrefitte a raconté une anecdote qu'il n'a pas reprise dans son livre.
De Gaulle aux funérailles
Le 22 novembre 1963 était le jour de l'anniversaire de de Gaulle, rappelle Peyrefitte, ce qui fait que le président français avait 73 ans le jour de l’assassinat de JFK. Lorsque de Gaulle a appris que des coups de feu avaient été tirés sur le président à Dallas, il a été bouleversé et a éprouvé un sentiment étrange. Apprenant la mort du président américain, il décide immédiatement de se rendre aux funérailles, premier chef d'État à le faire, ce qui provoque une certaine panique à Washington, car de nombreux pays, suivant son exemple, décident d'envoyer leurs chefs de gouvernement. Ce fut un cauchemar pour les Services Secrets et le FBI, raconte Peyrefitte.
De Gaulle et le ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville s'envolent pour Washington le dimanche 24 novembre. L'ambassadeur Hervé Alphand les accueille à l'aéroport de Dulles et les informe qu'un homme nommé Jack Ruby a tué l'assassin présumé, Lee Oswald. Sans hésiter, de Gaulle dit à Alphand que le meurtre d'Oswald est une opération de police ou des services de sécurité.
Lors des funérailles de JFK, le lundi 25 novembre, de Gaulle s'est joint à 19 autres chefs d'État et de gouvernement ainsi qu'à des membres de familles royales pour rendre hommage au président assassiné. Il s'agissait de l'empereur Halie Sélassié d'Éthiopie, du prince Philip de Grande-Bretagne, du président Éamon de Valera d'Irlande, du roi Baudouin de Belgique, de la reine Frederika de Grèce, du président des Philippines Diosdado Macapagal et du président de l'Allemagne de l'Ouest Heinrich Lübke.
Après les funérailles, les dignitaires étrangers ont assisté à une réception à la Maison Blanche pour rendre hommage à Mme Kennedy, suivie d'une réception au département d'État organisée par le Secrétaire d'État Rusk et le Président Johnson. De Gaulle a assisté à ces deux réceptions.
De retour à Paris le mercredi 27 novembre 1963, de Gaulle prend la parole au conseil des ministres et laisse entrevoir ses appréhensions quant à l'assassinat de JFK.
"Tout le monde se demande comment ça a pu se faire et surtout comment ça pu se comme ça. On sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas.... D'où un sentiment d’alarme discret chez beaucoup d'Américains".
Après le conseil, de Gaulle invite Peyrefitte dans le Salon doré, son bureau du deuxième pour s'entretenir en privé et là, le président français se montre plus franc.

Tête-à-Tête avec Bobby
Peyrefitte était un homme politique très intelligent", m'a dit M. Le Grelle, "mais aussi un écrivain célèbre, membre de l'Académie française, auteur du best-seller mondial Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera. C'était un homme qui vous mettait immédiatement à l'aise. Il parlait comme on fait une confidence à un ami, mais sur un ton très convaincant".
Après les funérailles, il y a eu deux réceptions à la Maison Blanche. Une première pour cent cinquante personnes au rez-de-chaussée et une seconde, plus petite, réservée à la famille, aux amis proches et à quelques dignitaires, dont de Gaulle, dans le salon ovale jaune des appartements privés du premier étage.
Comme l'a écrit Arthur Schlesinger à propos de la première dame Jackie Kennedy, "après les funérailles, Jacqueline a reçu de Gaulle dans le salon ovale jaune et lui a dit que tout le monde était devenu si amer à propos de "cette histoire entre la France, l'Angleterre et l'Amérique, mais Jack n'a jamais été amer". De Gaulle reconnaît que le président Kennedy a eu une grande influence dans le monde.
Robert Kennedy est présent, mais que pour quelques instants. Abasourdi par l'assassinat de son frère, il appelle d'abord son ami John McCone, directeur de la CIA, et lui demande si des agents de l'Agence est impliqué. McCone lui assure que non. Quelques heures plus tard, RFK ne posait plus la question. Ce jour-là, lorsqu'il s'est entretenu avec son ami cubain Harry Williams, Kennedy a déclaré que comme si c’était un fait. "Ce sont vos hommes qui l'ont fait", c'est-à-dire des Cubains anticastristes travaillant avec la CIA.
Trois jours plus tard, Robert Kennedy n'assiste pas à la réception du rez-de -chaussée, mais apparaît dans la salle ovale jaune du premier étage pour saluer de Gaulle, le chef d'État le plus important présent aux funérailles.
"C'était un coup d'État", a déclaré RFK à de Gaulle lorsqu'ils se sont retrouvés seuls. Il ajoute: "Je ne pourrai le prouver que si je suis élu président".
De Gaulle acquiesça, selon les notes du Grelle sur sa rencontre avec Peyrefitte.
Survivant de l'assassinat
Ce qui est arrivé à JFK aurait pu lui arriver, a déclaré de Gaulle. Un an et trois mois auparavant, en août 1962, le président français avait miraculeusement échappé à une mitraillade à bout portant par plusieurs armes automatiques, un attentat commis par des commandos de l’OAS sur la route nationale 306 à Clamart dans la banlieue parisienne.
"Ce n'est pas une histoire de cow-boy", a déclaré de Gaulle à propos de l'attentat de Dallas. "C'est une histoire de l'OAS.
De Gaulle faisait référence à l'Organisation Armée Secrète (OAS), une organisation terroriste clandestine française proche de l'extrême droite pendant la guerre d'Algérie. Lors de son arrivée au pouvoir en 1958, de Gaulle a refusé de recevoir le directeur de la CIA Allen Dulles, comme l'avaient fait ses prédécesseurs. De Gaulle soupçonnait la CIA de soutenir des généraux séditieux associés à l'OAS qui ont tenté de renverser son gouvernement en avril 1961. Selon le livre de David Talbot, The Devil's Chessboard le président Kennedy a demandé au département d'État d'enquêter sur le rôle présumé de la CIA dans le coup d'État avorté.
De Gaulle ne suggérait pas que les membres de l'OAS était impliqué dans l'embuscade de Dallas, mais seulement que l'assassinat était une opération de type OAS.
"Soit la police l'a fait, soit elle l'a laissé faire et l'a couvert", a déclaré de Gaulle à propos de l'assassinat de Kennedy. Peyrefitte précise que de Gaulle a utilisé le mot "police" pour désigner le FBI et la CIA, car en France, la police est l'équivalent du FBI et est également chargée du contre-espionnage avec la DST (Direction de la surveillance du Territoire). La mission équivalente des Services Secrets américains (US Secret Service) est également assurée par la police française.
"Nous ne connaîtrons jamais la vérité, c'est trop explosif", dit de Gaulle à Peyrefitte. "C'est un secret d'Etat. Ils feront tout pour le cacher." Et d'ajouter : "C'est un devoir d'Etat. Sinon, il n’y aurait plus d’Etats-Unis."
"L'Amérique risque de connaître des soubressauts, prédit de Gaulle, mais tous ensemble ils [les Américains] observeront la loi du silence. Ils feront tout pour étouffer le scandale.... afin de ne pas perdre la face devant le monde entier. Pour sauver l'unité du pays. "
Abattu par des opposants nationaux
Le récit que fait Peyrefitte de ce que RFK a dit à de Gaulle est cohérent avec ce que l'on sait de la réaction de RFK à l'assassinat de son frère. Il ne croyait pas à l'histoire d'un "tireur isolé" et soupçonnait les ennemis « nationaux » de JFK.
Le 30 novembre 1963, cinq jours après avoir parlé à de Gaulle, RFK et Jackie Kennedy se sont confiés à William Walton, un ami peintre qui se rendait à Moscou. Les historiens Tim Naftali et Aleksander Fursenko ont raconté cette histoire pour la première fois dans leur livre "One Hell of a Gamble" (1999). Le frère et la veuve du président ont demandé à Walton de transmettre un message aux dirigeants soviétiques. "Les Kennedy pensaient qu'une vaste conspiration politique se cachait derrière le fusil d'Oswald", a déclaré Walton à un haut responsable soviétique. "Malgré les liens d'Oswald avec le monde communiste, les Kennedy pensaient que le président avait été tué par des opposants nationaux. "
Une dernière réunion
Trois ans et demi plus tard, de Gaulle rencontre à nouveau Robert Kennedy, alors sénateur américain. Le 31 janvier 1967, les deux hommes ont eu un entretien de 70 minutes au palais présidentiel de l'Élysée à Paris, au cours duquel ils ont parlé de l'Asie du Sud-Est et du Viêt Nam. Selon Peyrefitte, ils ont à nouveau discuté de l'assassinat de JFK, mais Peyrefitte n'a fourni aucun détail.
Bernard Le Grelle suppose que Peyrefitte n'a pas inclus le commentaire de RFK sur le "coup d'État" dans ses mémoires, C'était De Gaulle, parce qu'il s'était appuyé en 1997 sur des notes contemporaines de ses rencontres avec le président en novembre 1963. Ces notes n'incluaient probablement pas le commentaire de RFK, à la fois parce qu'il aurait été politiquement risqué de coucher ses confidences sur le papier et parce que Peyrefitte s'est concentré de décrire les opinions et les humeurs de de Gaulle et pas celle de Bobby.
De Gaulle a agi en fonction de son intime conviction sur l'assassinat de JFK. Il a discrètement soutenu l'enquête du procureur de la Nouvelle-Orléans, Jim Garrison, selon l'un des enquêteurs de Garrison, Stephen Jaffe.
Lors d'une apparition sur le podcast JFK Facts l'année dernière, Jaffe a déclaré qu'il s'était rendu en France en mai 1968, où un haut fonctionnaire français a aidé Garrison dans ses efforts pour enquêter sur l'assassinat de JFK. Jaffe a cité cette note de remerciement manuscrite de de Gaulle comme preuve que le président français partageait les convictions de Robert Kennedy selon lesquelles son frère avait été tué par des ennemis au sein de son propre gouvernement, et que l'assassinat de JFK était bien un coup d'État.

[Bernard Le Grelle est l'auteur du livre à paraître, Two Brothers Executed, My Lifetime Quest for the Truth about the Kennedy Assassinations, qui détaille ses efforts pour enquêter sur les assassinats de JFK et RFK.]
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English https://open.substack.com/pub/jfkfacts/p/after-jfks-funeral-rfk-told-charles